
Bosnie-Herzégovine


Nom officiel: Bosnie-Herzégovine
Population: 3 871 643 habitants (est. 2014) (rang dans le monde: 122)
Superficie: 51 129 km. car.
Système politique: république fédérale
Capitale: Sarajevo
Monnaie: mark convertible (parité avec l'euro)
PIB (per capita): 8 300$ US (est. 2013)
Langues: bosniaque, croate, serbe
Religions: musulmans 40%, orthodoxes 31%, catholiques romains 15%, autres 14%
GÉOGRAPHIE

Pays au relief compartimenté, pratiquement sans accès
à la mer, la Bosnie-Herzégovine se répartit en quatre ensembles
naturels nettement individualisés. Le tiers septentrional se rattache à
la plaine pannonienne de l'Europe centrale ; il comprend le couloir de
la Posavina, plaine alluviale orientée est-ouest, sur la rive droite de
la Save.
Cette riche région agricole, qui marqua longtemps la frontière des
empires ottoman et habsbourgeois, est restée très rurale. Les villes se
sont développées plus au sud, dans une zone de collines propice à la
polyculture, située en bordure des affluents de la Save : Bihać sur
l'Una, Banja Luka sur le Vrbas, Doboj sur la Bosna, Zvornik sur la
Drina.
La Bosnie centrale, plus en retrait, forme un
ensemble montagneux assez complexe, qui atteint 2 300 m d'altitude aux
confins monténégrins. Cette région forestière et d'élevage constitue le
cœur politique du pays, d'où la présence de villes souvent anciennes (Sarajevo, Travnik, Goražde) dans des sites d'accès malaisés.
Le haut karst de Bosnie et d'Herzégovine s'étend
d'ouest en est, en plis parallèles à la côte adriatique. Région
d'élevage ovin, où les terres cultivables se limitent à de maigres
dolines et à quelques poljés
de grande dimension (Clamoč, Livno, Nevesinje), c'est une zone
d'émigration traditionnelle, actuellement très dépeuplée (20 habitants
par km2).
La basse Herzégovine, karstique également mais mieux
lotie en terres alluviales, jouit d'un climat méditerranéen (vigne,
tabac, cultures maraîchères). À l'orée des montagnes, sur la Neretva, Mostar
est le chef-lieu historique de l'Herzégovine. Tournée vers
l'Adriatique, la région ne dispose que d'une façade maritime
insignifiante de 21 km.
En situation périphérique par rapport au monde
danubien aussi bien que méditerranéen, le bastion bosniaque a joué
surtout un rôle militaire au cours des siècles. Le principal axe de
pénétration nord-sud est formé par les vallées de la Bosna et de la Neretva,
à la jonction desquelles Sarajevo s'est développée. Seule grande ville
d'un pays dont l'essor fut tardif, la capitale bosniaque doit sa fortune
à ses fonctions administratives et militaires, et, secondairement, au
commerce et à l'artisanat, son industrialisation n'ayant commencé
qu'après 1878 et surtout après 1945. Le siège dévastateur qu'elle a subi
de 1992 à 1995 a paradoxalement projeté la ville dans la sphère de la
mondialisation.
Contrairement à une idée reçue, la population de la
Bosnie-Herzégovine est d'une grande homogénéité ethnique : ses habitants
descendent des mêmes ancêtres et parlent la même langue (couramment
appelée serbe, croate ou bosniaque, et, scientifiquement štokavien).
En revanche, trois identités nationales se sont élaborées, qui épousent
les clivages religieux (héritage du système ottoman des millet) :
Serbes orthodoxes, Croates catholiques, Bosniaques musulmans. Leur
proportion est passée, entre 1971 et 1991, de 37 à 31 % pour les Serbes,
de 21 à 17 % pour les Croates, de 40 à 44 % pour les Bosniaques. Cette
évolution tient au fait que les Serbes et les Croates de Bosnie ont
souvent dirigé leur exode rural vers les centres industriels extérieurs à
la république, à la différence des musulmans. Territorialement, les
trois groupes nationaux étaient très imbriqués jusqu'en 1992. Leur
profil démographique est le même : resté longtemps celui d'une société
rurale traditionnelle, il se rapproche depuis les années 1960 du modèle
occidental. Avec 1,2 enfant par femme, le taux de fécondité du pays est
aujourd'hui la plus du monde.
Pays marginalisé pendant des siècles, la Bosnie n'a
commencé à être mise en valeur qu'à partir de l'époque habsbourgeoise
(1878-1918) : bois, sel gemme (Tuzla), fer (Ljubija). Le régime
communiste a développé un combinat sidérurgique en Bosnie centrale
(Vareš, Kakanj, Zenica). Quoique faisant partie des républiques pauvres
de Yougoslavie, la Bosnie connaît à partir des années 1970 une
prospérité unique dans son histoire, dont l'organisation des jeux
Olympiques d'hiver à Sarajevo en 1984 est le symbole. La guerre de
1992-1995 l'a ruinée, provoquant destructions, massacres et déplacements
massifs de population. Depuis l'arbitrage territorial de Dayton
(novembre 1995), qui a entériné une partition de fait de la
Bosnie-Herzégovine sur des bases ethnico-religieuses, le pays vit sous
perfusion internationale et s'attelle, aujourd'hui, à une difficile
reconstruction.
La Bosnie-Herzégovine dispose de peu de ressources
(un peu de fer et de charbon) et l'industrie n'est guère développée. Le
pays est pratiquement enclavé et donc largement dépendant des pays
voisins pour les nécessaires échanges, essentiels à la vie économique.
En 2008, la Bosnie-Herzégovine a signé un accord de
stabilisation et d'association avec l'Union européenne. Cet accord
entérine le respect par la Bosnie-Herzégovine de quatre conditions :
l'adoption de réformes dans le secteur judiciaire, dans la télévision,
dans l'administration publique, et, surtout, dans la police. L'accord de
stabilisation et d'association constitue la dernière étape avant une
éventuelle reconnaissance du statut de candidat naturel à l'Union
européenne.
HISTOIRE
1. De l'Antiquité au xive siècle
La Bosnie, centre de la culture de Butmir au néolithique, tire son nom de la rivière Bosna (la Bosante de l'Antiquité), affluent de la Save. Elle fait partie de l'Empire romain puis de l'Empire byzantin.
Slavisée dès le vie siècle, elle est au xe siècle
l'objet des ambitions de la Bulgarie, qui en annexe la frontière
orientale (927) et impose sa suzeraineté au reste du pays, constitué en
principauté par le Serbe Časlav (928-960). Elle fait partie ensuite de
l'État croate. Les rois de Hongrie y établissent entre 1138 et 1463
(avec un intermède byzantin entre 1165 et 1180) une suzeraineté qui
reste nominale et doivent respecter l'autonomie que maintiennent le ban Kulin (1180-1204) et Matej Ninoslav (vers 1233-vers 1250).
Au xive siècle, malgré la
lutte pour le pouvoir opposant les grandes familles, la Bosnie assure
son indépendance jusqu'à l'Adriatique grâce à Étienne II Kotromanić
(1322-1353) et à son neveu Tvrtko Ier (1353-1391). Ce dernier
se fait proclamer roi en 1377 et lutte avec les Serbes contre les
Turcs ; sous son règne, le pays connaît une importante activité
économique. Mais, après la mort de Tvrtko Ier, une période d'anarchie commence : les grands féodaux, qui soutiennent l'Église bosniaque (apparentée au bogomilisme) s'opposent au souverain, qui est généralement catholique. Contre l'Église bosniaque, le pape suscite des croisades.
2. La domination ottomane
Les dissensions politiques et religieuses favorisent la conquête de la Bosnie par les Turcs. Malgré les efforts d'opposition de Tvrtko II (1421-1443), d'Étienne Tomaš (1443-1461) et d'Étienne V Tomašević (1461-1463), la Bosnie doit, dès 1435, payer tribut aux Turcs, qui la conquièrent en quelques jours en 1463. Les marches organisées au nord par le roi de Hongrie Mathias Corvin tomberont au début du xvie siècle. Formé en 1435 par un noble local, Étienne Vukčić, le duché autonome d'Herzégovine (région de Hum) résistera aux Turcs jusqu'en 1482, mais sera finalement occupé par eux.
Sous les Turcs, la Bosnie bénéficie d'un statut spécial. Les conversions à l'islam de nobles, mais aussi de paysans, sont nombreuses. Conformément à la tradition de l'islam, l'Empire ottoman
tolère les autres religions du Livre et ne procède pas à des
conversions forcées. Un certain nombre de Juifs, chassés d'Espagne en
1492, s'établissent d'ailleurs en Bosnie. Les non-musulmans sont
cependant soumis au versement d'impôts spécifiques, en reconnaissance de
la protection octroyée par le sultan, ce qui explique qu'un certain
nombre de conversions répondent à des raisons fiscales, économiques et
sociales. Des familles d'islamisés accéderont à de hautes fonctions dans
l'Empire (Mehmed Sokolović, milieu xvie siècle).
L'islam en vigueur en Bosnie, comme dans tout l'Empire ottoman, est un islam sunnite de rite hanafite,
mais des confréries soufies sont également actives dans le pays,
parfois réprimées par les autorités ottomanes. Depuis, l'islam est
devenu une composante majeure de l'identité du pays, marquant
l'architecture, le paysage, mais aussi les mœurs et les usages.
3. La domination austro-hongroise
Les villes et le commerce se développent. Mais, au cours de la guerre avec l'Autriche (1683-1699), le Prince Eugène incendie Sarajevo (1697) ; après le traité de Požarevac (1718), qui met fin à une nouvelle guerre, l'Autriche occupe une frange au nord de la Bosnie, qu'elle rend aux Turcs en 1739.
À partir du recul des Turcs dans les Balkans au xviiie siècle, l'insubordination se répand parmi les dignitaires musulmans et la situation de la Bosnie se dégrade. Au xixe siècle,
les réformes entreprises par les sultans suscitent l'hostilité de la
noblesse musulmane, menacée dans ses privilèges ; malgré certaines
réformes, la situation de la paysannerie reste très rude, d'où de
fréquentes révoltes. En 1875, à la suite d'une famine, une insurrection
éclate en Herzégovine, s'étend à la Bosnie et provoque l'entrée en
guerre des Serbes et des Monténégrins, et une intervention russe contre
les Turcs.

Pour prix de sa neutralité, l'Autriche-Hongrie, au congrès de Berlin
(1878), obtient l'administration de la Bosnie-Herzégovine, tout en
maintenant la suzeraineté turque ; elle annexera complètement la Bosnie
en 1908. Mais la domination autrichienne est mal acceptée des Croates,
et surtout des Serbes et des musulmans, dont certains émigrent vers
l'Empire ottoman. Le nationalisme se développe ; un mouvement de
Jeunes-Bosniaques se forme et aboutit à l'assassinat à Sarajevo de
l'archiduc François-Ferdinand (28 juin 1914), cause immédiate de la Première Guerre mondiale.
4. La période yougoslave
4.1. La Bosnie-Herzégovine dans l'État monarchique yougoslave
Le 1er décembre 1918, les territoires de Bosnie sont intégrés au nouveau « royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes ». Mais ce royaume ne reconnaît pas de frontières particulières à la Bosnie, ni de spécificité aux musulmans bosniaques qui doivent se déclarer soit serbes, soit croates. L'Organisation musulmane yougoslave, dirigée par Mehmed Spaho, participe à la plupart des gouvernements de coalition entre 1918 et 1928. L'administration régionale et surtout locale est entre les mains des royalistes serbes. D'autre part, le développement économique du pays reste modeste, malgré l'exploitation de ressources minières.
Afin de procéder à une centralisation du pouvoir, le
royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes se transforme en
« Royaume de Yougoslavie ». Ainsi, à partir de 1929, un nouveau
découpage administratif du pays est mis en place, ignorant les
revendications d'autonomie de l'Organisation musulmane. Ce découpage
permet, en outre, de confondre certaines frontières naturelles et
historiques entre la Croatie et la Bosnie. Le pouvoir royal, qui manque
de moyens financiers, doit affronter la crise de 1929.
De plus, menant une politique autoritaire, la monarchie ignore les
désirs d'indépendance des pays qu'elle gouverne. Dans ces conditions, la
Bosnie ne peut pas se développer et reste un pays majoritairement
agricole.
4.2. La Bosnie-Herzégovine pendant la Seconde Guerre mondiale
Le 6 avril 1941, Belgrade est écrasée par les bombes de la Luftwaffe. La Yougoslavie royale, qui avait maintenu sa neutralité au prix de multiples contorsions diplomatiques, est à son tour envahie par les forces de l'Axe. L'armée yougoslave, mal équipée et peu préparée, cède de toutes parts, 375 000 officiers et soldats yougoslaves sont faits prisonniers. L'agonie du royaume du jeune roi Pierre II Karadjordjević aura duré onze jours. La capitulation est signée le 17 avril 1941, le roi et le gouvernement s'enfuient à Athènes (14 et 15 avril), puis à Londres.
Vaincu militairement, le pays est rapidement dépecé. La Bosnie-Herzégovine est attribuée à l'État croate indépendant, dont Hitler confie le gouvernement à Ante Pavelić, chef du mouvement ultranationaliste Oustacha,
qui s'est développé en Croatie depuis 1929 contre l'autorité
monarchique serbe. Le parti des Oustachi prône une politique fasciste et
tente de gagner la bienveillance des musulmans de Bosnie, qu'il
qualifie de « fleurons de la race croate ». Il organise, en revanche,
des conversions forcées, des expulsions et des massacres à l'encontre
des Serbes.
L'indépendance croate s'inscrit dans une spirale de
violences et d'extermination des peuples non croates, dont les Serbes de
Bosnie-Herzégovine sont les principales victimes ; plusieurs centaines
de milliers d'entre eux périssent dans le camp de concentration de
Jasenovac. La Bosnie-Herzégovine devient le théâtre d'une guerre entre Tchetniks,
Oustachi et partisans communistes. Ces derniers forment les seules
forces multi-ethniques et leur nombre augmente progressivement, surtout à
partir de 1943. Le territoire de la Bosnie est le champ d'affrontements
importants : bataille de la Kozara (juin 1942), de la Neretva (mars
1943), de Drvar (mai 1944).
En outre, entre l'automne 1944 et la fin du mois de
mai 1945, des combats dévastateurs ont lieu entre les partisans
communistes de Tito, soutenus par les Anglais depuis la conférence de Téhéran (1943), et les forces allemandes, alliées aux Croates.
C'est en Bosnie que vont se dessiner les contours et
les fondements de la future Yougoslavie, lors des deux Conseils
antifascistes de libération nationale (AVNOJ, Antifašističko veće
narodnog oslobodjenja Jugoslavije) à Bihać (novembre 1942) et à Jajce
(novembre 1943). Le 29 novembre 1943, date de la réunion à Jajce, est
retenu comme la date officielle de la création de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (RSFY) et demeurera jour de fête nationale jusqu'en 1992.
4.3. La Bosnie-Herzégovine dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie
Nations (ou peuples), « nationalités » et citoyenneté
La Constitution yougoslave de 1945 reprend les principes énoncés lors du Conseil antifasciste de libération nationale de Jajce du 29 novembre 1943. La Bosnie-Herzégovine devient une des six républiques de la Fédération yougoslave. Les trois peuples qui la composent, Serbes, Croates et musulmans sont considérés comme bosniaques. Une distinction essentielle est, dès l'origine, inscrite dans la Constitution entre « peuple » ou « nation » (narodnost) et « citoyenneté ». Les « peuples » sont des « peuples constitutifs de la Fédération yougoslave » qui disposent, à ce titre, de « foyers nationaux » dans une ou plusieurs des Républiques. Ainsi, les Serbes disposent de foyers nationaux en Serbie, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Cinq peuples sont retenus : les Slovènes, les Croates, les Serbes, les Macédoniens et les Monténégrins.
À l'inverse, bien que très nombreux, des groupes comme les Italiens d'Istrie, les Hongrois de Vojvodine ou les Albanais du Kosovo et de Macédoine
(1,7 million en 1945) ne sont considérés que comme des « nationalités »
puisqu'ils possèdent un berceau national hors de Yougoslavie. À la
différence de la France, où les notions de citoyenneté et de nationalité
sont synonymes, en Yougoslavie, la « citoyenneté » est une notion
territoriale (on est citoyen de sa république de résidence), tandis que
la nationalité désigne une appartenance ethnique.
La période titiste
Sous Tito, les musulmans de Bosnie jouissent d'une position relativement privilégiée, le régime communiste s'efforçant, sur le plan politique, de faire pièce aux deux « grands » nationalismes, serbe et croate. Les uniques conflits surviennent dans l'immédiat après-guerre après l'interdiction par les autorités du port du voile. Ainsi, une « nationalité musulmane » est-elle reconnue en 1971, tandis que le régime favorise les structures religieuses musulmanes dans le but de se concilier ses alliés arabo-musulmans du Mouvement des non-alignés. Un grand nombre de mosquées sont construites durant l'époque communiste, et l'Université de théologie islamique de Sarajevo poursuit ses activités sans heurts avec les autorités politiques.
Un programme ambitieux de reconstruction et
d'industrialisation (sur le modèle soviétique) est mis en place dans le
cadre d'un plan quinquennal à partir de 1945. Ce sont par exemple
65 000 personnes, dont de nombreux communistes européens, qui se portent
volontaire pour construire la voie ferrée Samac-Sarajevo. Une
importante migration s'opère des campagnes vers les nouveaux sites
industriels de Zenica ou de Tuzla.
Un autre flux migratoire a lieu en direction de la Vojvodine, où se
trouvent de grandes propriétés agricoles, nationalisées puis distribuées
en petits lots par les communistes.
Le régime titiste prône l'unité et la fraternité
entre les peuples et combat toute résurgence du nationalisme. Il
instaure aussi un système économique spécifique à partir des années
1950, marqué par l'autogestion et la notion de propriété sociale. Les
entreprises n'appartiennent donc plus à l'État, comme dans les autres
pays de l'Europe de l'Est, mais à ceux qui y travaillent. Ce modèle
spécifique de socialisme sera récusé jusqu'en 1956 par les autres pays
de l'Europe de l'Est communiste.
C'est en Bosnie que se trouvent les plus grandes
entreprises, sur lesquelles s'appuie l'industrialisation massive. Par
ailleurs, à partir des années 1960, d'importantes sociétés de
construction bosniaques remportent de nombreux contrats à l'étranger,
principalement au Moyen-Orient, concurrençant ainsi les sociétés
occidentales. L'essor économique est aussi marqué par la multiplication
d'industries chimiques et électrotechniques.
Les années 1980
Mais, dans les années 1980, après la mort de Tito, des scandales financiers révèlent les faiblesses d'un système économique et politique basé sur le clientélisme. Symptomatique du malaise de l'économie yougoslave, l'« affaire Agrokomerc » est l'illustration de la faillite de tout un système. Entretenue par des crédits internationaux, la croissance économique des années 1960-1970 laisse place, à la fin des années 1980, à une hyperinflation qui influence la vie politique locale.L'essor des partis nationalistes
En 1990, de nouvelles forces politiques nationalistes se développent aux dépens des communistes et des partis « citoyens » (non ethniques). Lors des premières élections libres, les partis nationalistes sortent largement vainqueurs. Au Parlement, le parti d'Action démocratique (SDA) du leader musulman Alija Izetbegović obtient 86 députés, le parti démocratique serbe (SDS) de Radovan Karadžić, 70, l'Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ) de Stjepan Kljujić, 45, et les partis « citoyens », 37. Animés d'un anticommunisme commun, les partis nationaux avaient fait campagne ensemble. Ainsi A. Izetbegović, le futur président de la République bosniaque, a été invité à prendre la parole lors du congrès de fondation du SDS. Par ailleurs, de nombreux électeurs ont voté pour des candidats d'une autre « nationalité » que la leur (à Mostar et à Travnik, communes à majorité musulmane, des députés de la HDZ sont élus ; à Vitez, commune à majorité croate, c'est un député du SDA qui est élu). Le pouvoir est donc partagé, au sein d'une coalition gouvernementale, entre les différents partis nationalistes : le poste de président revient à Alija Izetbegović (SDA), celui de président du Parlement à Momčilo Krajišnik (SDS) et celui de Premier ministre à Jure Pelivan (HDZ).5. L'indépendance et la guerre
5.1. La proclamation de l'indépendance (1992)
L'éclatement de la fédération yougoslave, en juin 1991, pose la question de la survie de la République de Bosnie-Herzégovine. Le président de la présidence collégiale A. Izetbegović apparaît alors, avec le président macédonien Kiro Gligorov, comme l'un des derniers défenseurs de l'État fédéral, et propose un projet de « fédération asymétrique ».
Le SDS de R. Karadžić, dont les partisans ont déjà
commencé à organiser les communes qu'ils contrôlent en « régions
autonomes serbes », réclame soit le maintien de la Bosnie dans une
Yougoslavie réduite, soit sa territorialisation sur une base ethnique.
Divisés, les Croates de la HDZ souhaitent, les uns, l'indépendance, les
autres, leur rattachement à la Croatie (deux « régions autonomes »
croates, celle d'Herceg-Bosna et celle de Posavina, seront constituées
en novembre 1991). Finalement, après des mois de paralysie, le Parlement
bosniaque adopte, le 15 octobre 1991, une déclaration de souveraineté
proposée par le SDA et soutenue par la HDZ et par les partis
« citoyens ». Mettant à exécution ses menaces de démantèlement, le SDS
constitue le 26 octobre 1991 un « parlement de la nation serbe en
Bosnie-Herzégovine ». La Commission d'arbitrage de l'Union européenne
exigeant un référendum d'autodétermination, celui-ci est organisé les
29 février et 1er mars 1992 : 62 % des inscrits et 98,9 % des
suffrages – soit l'électorat musulman et croate – se prononcent en
faveur de l'indépendance, les Serbes de Bosnie boycottent le scrutin.
Le 3 mars 1992, le Parlement bosniaque proclame
l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Celle-ci est reconnue par la
communauté internationale le 6 avril. Le même jour, les Serbes de Bosnie
entament le siège de Sarajevo. Le 7, ils proclament une « République
serbe de Bosnie », dirigée, depuis Pale, par R. Karadžić, élu président.
5.2. La guerre
Le « nettoyage ethnique » des forces serbes

L'impuissance internationale

En mai 1993, le Conseil vote la création de six
« zones de sécurité » (Srebrenica, Goražde, Žepa, Tuzla, Bihać et
Sarajevo), dans lesquelles la population civile doit, théoriquement,
être protégée par la présence de Casques bleus. Mais ces mesures
s'avèrent peu efficaces, de même que les cinq plans de paix successifs
proposés en trois ans par les médiateurs internationaux successifs et
refusés par les belligérants.
Durant la guerre, le patrimoine islamique est
gravement endommagé, les nationalistes serbes et croates détruisant
systématiquement les mosquées dans les zones qu'ils contrôlent. La
propagande serbe et croate stigmatise le « régime islamiste » en place à
Sarajevo. Si ces accusations n'ont jamais eu de fondements, il est vrai
que le président A. Izetbegović est lié à des cercles spirituels
islamiques professant une idéologie proche de celle des Frères musulmans. Dans sa fameuse Déclaration islamique, publiée en 1970, il tente de définir les principes de fonctionnement d'un État islamique.
Durant la guerre, certains réseaux du SDA sont en
étroit contact avec différentes organisations islamistes
internationales, notamment dans le but d'acheminer des armes en Bosnie.
Dans le même temps, des volontaires affluent du monde entier en Bosnie
pour participer à un djihad
ou pour s'engager dans des organisations humanitaires musulmanes. Au
sein de l'armée bosniaque, ces volontaires sans frontières sont
regroupés dans la brigade El Moudjahid, très engagée dans les combats en
Bosnie centrale contre les forces croates. Ils tentent de modifier les
pratiques « laxistes » de l'islam local, voire même d'imposer leur
vision de la charia.
Jusqu'à la fin des années 1990, y compris après le retour à la paix, de
petits « émirats islamiques » subsisteront, notamment en Bosnie
centrale. En revanche, cette greffe islamiste ne prend guère dans la
société locale.
La guerre dans la guerre
De part et d'autre, on observe un phénomène de radicalisation. Les Serbes achèvent le « nettoyage » de la Bosnie orientale, où les Musulmans ne conservent que les enclaves de Goražde, Žepa et Srebrenica.
Côté croate, le camp favorable au partage de la
Bosnie l'emporte, et la proclamation, le 3 juillet 1992, d'une
« province autonome d'Herceg-Bosna » dans les régions sous contrôle
croate provoque entre armées croate et musulmane, jusque-là alliées, des
affrontements meurtriers pendant toute l'année 1993.
La diplomatie américaine fait pression sur les deux
parties pour mettre fin à cette « guerre dans la guerre ». Des
négociations parallèles entre représentants musulmans et croates
aboutissent le 18 mars 1994 aux accords de Washington prévoyant la
création d'une Fédération croato-musulmane, elle-même confédérée à la
Croatie. Dans le même temps, la ville de Mostar, partagée en deux
municipalités, l'une croate et l'autre musulmane, est placée pendant
deux ans sous l'autorité administrative de l'Union européenne.
Constitué en avril, un groupe de contact (Allemagne,
États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) avance l'idée d'un partage
territorial : 51 % pour la Fédération croato-musulmane, 49 % pour une
« entité serbe à définir ». Le plan est accepté par S. Milošević mais
rejeté par la « République serbe de Bosnie » malgré les injonctions de
Belgrade, qui rompt avec elle.
Le massacre de Srebrenica

Vers le cessez-le-feu
À partir du mois d'août, toutefois, la situation militaire se renverse. Du 5 au 8, les Croates reconquièrent la quasi-totalité des fragments de leur pays occupés par les Serbes (Krajina) et désenclavent ainsi la poche bosniaque de Bihać. Après le bombardement meurtrier d'un marché de Sarajevo (28 août 1995), les frappes aériennes massives sur les infrastructures bosno-serbes permettent aux armées croate et bosniaque de reprendre 15 à 20 % du territoire. Un cessez-le-feu véritable est signé en octobre, puis les présidents serbe S. Milošević (représentant les Serbes de Bosnie), croate F. Tudjman et bosniaque A. Izetbegović, réunis pendant un mois sur une base militaire aux États-Unis, sont contraints de conclure les « accords de Dayton ».5.3. Les accords de Dayton (14 décembre 1995)

La nouvelle Constitution de la Bosnie-Herzégovine (et
la Fédération croato-musulmane depuis sa création, en 1994), renomme
les Musulmans Bosniaques ; la citoyenneté de la Bosnie-Herzégovine, se voit, quant à elle, désignée par le terme Bosanci, en français Bosniens.
Des élections doivent être organisées dans les six mois qui suivent la
signature des accords. La mise en œuvre du volet militaire est garantie
par l'Ifor (Implementation Force), placée sous commandement de l'OTAN et
déployée pour une durée d'un an (prenant le relais de la Forpronu).
Celle du volet civil est garantie par une force de police internationale
et des observateurs civils, dans le cadre de la Mission des Nations
unies en Bosnie-Herzégovine (Minubh).
5.4. Le bilan de la guerre
Des communautés irréconciliables
Les accords de Dayton mettent fin à une guerre dont le bilan serait de l'ordre de 100 000 à 250 000 morts auxquels s'ajoutent 2,4 millions de réfugiés et de personnes déplacées. Ils définissent des principes tels que le retour des réfugiés et la liberté de circulation entre les diverses entités de la Bosnie. Or, malgré des tentatives pour l'unifier (introduction d'un mark convertible, interdiction de plaques d'immatriculation différenciées), le territoire demeure compartimenté en zones « ethniques ».
Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, le nombre de
retours effectifs de réfugiés et de personnes déplacées pour 1996 et
1997 serait respectivement de 250 000 et 200 000. En 2006, plus d'un
million de personnes sont rentrées. Cependant, le plus souvent, ces
réfugiés ne retournent pas dans leur foyer, mais se réinstallent dans
des régions où leur groupe est majoritaire. Et malgré la Loi sur la
propriété, qui stipule que les propriétaires qui ont fuit leur région
d'origine peuvent reprendre possession de leurs biens occupés par
autrui, lorsqu'il reviennent dans leur région d'origine, c'est souvent
pour vendre leur domicile et se réinstaller ailleurs. De plus, le climat
d'insécurité et l'instabilité socio-économique contribuent à rendre les
retours précaires.
Le recensement de 1991
Après trois ans de guerre, le visage de la Bosnie-Herzégovine est profondément modifié. Au recensement de 1991, sur une population de 4 365 000 individus, 43,7 % sont Musulmans, 31,4 % sont Serbes, 17,3 % Croates, 5,5 % se disent « Yougoslaves ». Autrefois étroitement mélangées, ces communautés sont aujourd'hui regroupées dans de larges régions « ethniquement pures ». 96 % de la population de la RS est serbe. Des 220 000 Croates présents sur le territoire avant le conflit, il n'en reste plus que 85 000. De même, 72 % des Bosniaques sont installés dans la Fédération croato-musulmane, et Sarajevo – qui se vantait d'être avant la guerre la « Jérusalem des Balkans », multiculturelle et multiconfessionnelle –, concentre désormais 85 % de Musulmans contre 49 % au début des années 1990.Le renforcement des nationalismes
Les élections de septembre 1996 – appelées à désigner les membres de la présidence collégiale de l'État, du Parlement de Bosnie-Herzégovine et des Parlements de chacune des deux entités – renforcent dans chacune des communautés le pouvoir des nationalistes, dont deux au moins (Serbes et Croates) sont hostiles à l'unité du pays. Au terme de ce scrutin, le Bosniaque A. Izetbegović, le Croate Krešimir Zubak et le Serbe Momčilo Krajišnik sont élus à la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine. Arrivé en tête, A. Izetbegović devient président de cette autorité exécutive et donc chef de l'État (pour deux ans). Biljana Plavšić, successeur de R. Karadžić – celui-ci ayant renoncé officiellement à ses mandats en juillet 1996, plus d'un an après son inculpation par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour génocide et crimes contre l'humanité –, est élue à la tête de la RS.
À la fin de 1996, le mandat du contingent
international est renouvelé, l'Ifor laissant la place à la Sfor, force
de stabilisation de la paix, investie d'une mission de dix-huit mois.
6. Un pays profondément divisé
6.1. La domination des partis nationalistes
Les élections générales de septembre 1998 aboutissent à des résultats assez contrastés. Même si le succès de représentants plutôt modérés des trois communautés à la présidence collégiale semble encourageant, avec les victoires du Bosniaque A. Izetbegović, du Croate Ante Jelavić et du Serbe Živko Radisić, en revanche, l'élection de l'ultranationaliste Nikola Poplašen à la présidence de la RS constitue un grave revers pour l'application des accords de Dayton. Début 2000, Mirko Sarović remplace N. Poplašen, destitué un an plus tôt par le haut représentant civil en Bosnie, alors que la RS traverse une sérieuse crise politique et institutionnelle.
Aux élections parlementaires et cantonales de
novembre 2000, le parti social-démocrate (SDP)– seule formation en lice
revendiquant l'idéal communautaire – devance de justesse le SDA au
Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, sans obtenir pour
autant la majorité. Pour la première fois depuis dix ans, le pays se
dote, en février 2001, d'un gouvernement non nationaliste, élu grâce aux
voix des députés de l'Alliance pour le changement, une coalition
réformiste et multiethnique. Hormis cette timide évolution, ces
élections consacrent la domination des nationalistes et soulignent la
division d'un pays profondément marqué par la guerre. Ainsi, en mars
2001, tandis que la RS et la République fédérale de Yougoslavie signent
un « accord spécial », renforçant les idées séparatistes, les
nationalistes croates de la Fédération de Bosnie-Herzégovine décident de
s'octroyer un statut d'autonomie, avec, à terme, un Parlement et un
gouvernement propres.
A. Jelavić, membre de la présidence collégiale, est
destitué en raison de son soutien aux projets indépendantistes croates
et remplacé par Jozo Križanović (SDP) en avril 2001. Le Bosniaque, Beriz
Belkić, un modéré, remplace Halid Genjac, qui assurait l'intérim à la
présidence collégiale depuis la démission en octobre 2000 de
A. Izetbegović.
Le 27 juin 2001, la Bosnie-Herzégovine signe un
accord douanier prévoyant son intégration dans une zone de libre-échange
avec l'Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Macédoine et la république
fédérale de Yougoslavie. Le 24 avril 2002, elle devient le 44e membre du Conseil de l'Europe.
Après les attentats du 11 septembre 2001
à New York et à Washington, la traque des islamistes s'intensifie en
Bosnie. Parallèlement à ces courants islamistes internationaux, l'islam
local de Bosnie doit se réorganiser. Avant la guerre, la plus haute
autorité de l'islam était le reisu-l-ulema (chef des ulémas) de
Yougoslavie. En 1993, Mustafa Cerić est élu rais de Bosnie-Herzégovine.
Très actif sur la scène locale et internationale, il s'applique à
renforcer les structures de l'islam (construction de mosquées, ouverture
de madrasa). Dans le même temps, il se pose comme le porte-parole d'un
« islam européen » à l'identité pourtant incertaine. La pratique
religieuse régulière demeure minoritaire, mais se situe à un niveau bien
supérieur qu'avant la guerre, tandis que les militants radicaux
poursuivent un travail patient d'implantation. Dans le même temps, les
différentes formes de soufisme connaissent un renouveau marqué, aussi
bien parmi certaines couches intellectuelles que parmi les anciens
combattants de l'armée bosniaque.
Les élections générales du 5 octobre 2002 – les
premières à être organisées par les Bosniens eux-mêmes et non par les
organisations internationales – consacrent, une nouvelle fois, sept ans
après la fin de la guerre, la victoire des partis nationalistes : le
Bosniaque Sulejman Tihić (SDA), le Croate Dragan Čović (HDZ) et le Serbe
Mirko Sarović (SDS) sont élus à la présidence collégiale, M. Sarović
étant président de la présidence pour les huit premiers mois, selon le
système de rotation en vigueur. Toutefois, mis en cause dans deux
scandales, dont l'un est lié à la violation de l'embargo sur les armes
vers l'Iraq, il est contraint de démissionner en avril 2003. Borislav
Paravac, vice-président du Parlement fédéral, lui succède.
6.2. Sanctions internationales contre la Republika Srpska (RS)
En janvier 2003, l'Union européenne prend le relais de la Minubh et met en place une mission de 500 hommes chargée de réformer les forces de police et d'aider à la lutte contre la corruption et le crime organisé (European Union Police Mission, EUPM). Lors du Conseil européen de Thessalonique (19-21 juin 2003), est réaffirmée l'idée que les Balkans ont vocation à rejoindre l'Union européenne, dès qu'ils répondront aux critères établis. À ceux exigés de l'ensemble des États ex-yougoslaves s'ajoutent – dans le cas de la Bosnie-Herzégovine – la réforme de son administration et de sa justice et la réunification de son espace économique ; en novembre de la même année, la Bosnie-Herzégovine se voit proposer une étude de faisabilité en 16 points devant déboucher sur un Accord de stabilisation et d'association (ASA), son adhésion à l'Union européenne étant alors envisagée pour 2009. Elle est par ailleurs invitée à unifier ses forces armées pour prétendre adhérer au Partenariat pour la paix de l'OTAN.
Alors que, face à cette perspective, la plupart des
acteurs politiques s'engagent à trouver un consensus politique, ne
fût-il que formel, les accords de Dayton sont périodiquement remis en
question – pour des raisons différentes – tant par la HDZ que par les
partis nationalistes de la RS. Paddy Ashdown, le nouveau haut
représentant de l'ONU depuis le 27 mai 2002, obtient quelques avancées,
telle que la réunification de Mostar promulguée en janvier 2004. Mais
devant l'incapacité des hommes politiques bosniens à appliquer les
dispositions de Dayton, P. Ashdown utilise massivement les pouvoirs de
Bonn, attribués en 1997 au haut représentant pour licencier les
politiciens et les fonctionnaires coupables d'obstructionnisme à l'égard
du processus de paix et pour imposer, par décret, des décisions et des
lois en cas de manque d'accord entre les parties. Peu utilisées
auparavant, ces prérogatives deviennent, avec P. Ashdown, un instrument
de développement des institutions par « décret ».
Si ces décisions arbitraires ont le mérite de
poursuivre la mise en place des dispositions de Dayton, les conséquences
négatives de ces pratiques sont nombreuses. Outre une violation
évidente de la souveraineté bosnienne, elles ne favorisent pas
l'émergence d'une nouvelle génération d'hommes politiques bosniens
efficaces et responsables. De plus, si le haut représentant a la
capacité de promulguer des décrets, il n'a pas la capacité de les
appliquer.
En juin 2004, la RS reconnaît – pour la première fois
depuis la fin de la guerre – le massacre, par les forces serbes
bosniaques, de « plusieurs milliers de musulmans » à Srebrenica en 1995,
sans évoquer toutefois la qualification de génocide, retenue par le
TPIY. Devant les tentatives restées infructueuses de capturer
R. Karadžić, l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie, et son
comparse, R. Mladić, leur chef militaire, P. Ashdown – dont le but est
de réformer les services de police et de sécurité, voire les
institutions de l'entité serbe – intensifie sa pression et gèle, en
avril, les avoirs du SDS. À la suite du « non » de l'OTAN à l'accession
de la Bosnie-Herzégovine au Partenariat pour la paix (sommet d'Istanbul
des 28 et 29 juin), il limoge, en juillet et en décembre, une
soixantaine de responsables de l'entité serbe et exige de cette dernière
un rapport sur les protections dont ont bénéficié les criminels en
fuite. Enfin, il fixe à 2005 la création d'une seule armée et d'une
seule police au niveau de l'État central et l'abolition des ministères
de la Défense et de l'Intérieur dans les deux entités. À son invitation,
l'Union européenne – qui, depuis décembre, a pris le relais de l'OTAN
en Bosnie – et Washington interdisent de visas les responsables des
principaux partis de la RS ou gèlent les avoirs d'individus soupçonnés
de liens avec R. Karadžić. Ces sanctions entraînent en Republika Srspka
une crise – démission du Premier ministre Dragan Mikerević, suivie de
celle de l'ensemble de la représentation serbe au gouvernement central,
et collecte de signatures pour réclamer l'indépendance de la RS –, qui
s'achève avec la nomination de Pero Bukejlović (SDS), à la tête d'un
nouveau gouvernement en février 2005.
6.3. Les partis changent, les divisions perdurent
Aux élections d'octobre 2006, le leader du parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBH), ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Haris Silajdzić, remporte le scrutin de la présidence collégiale de la République de Bosnie-Herzégovine avec 62,1 % des suffrages au sein du collège musulman. Nebojša Radmanović (parti des sociaux-démocrates indépendants, SNSD), avec 54,8 % des voix, est l'élu du collège serbe, tandis que Željko Komšić (SDP), avec 40,8 % des suffrages, remporte l'élection au sein du collège croate, devançant de peu Ivo Miro Jović (HDZ). H. Silajdzić et Ž. Komšić sont des partisans d'une Bosnie-Herzégovine unitaire tandis que la formation de N. Radmanović est favorable à un référendum sur la sécession des territoires serbes.
En RS, le SNSD, formation du Premier ministre Milorad
Dodik, devance les forces nationalistes traditionnelles, le parti
démocratique (SDS) du président sortant de la RS, Dragan Čavić, et le
parti radical (SRS). Longtemps considéré comme un « modéré », le leader
du SNSD a cependant fait campagne en agitant la menace de l'organisation
d'un référendum sur l'indépendance de la RS. Milan Jelić (SNSD)
remporte l'élection présidentielle de l'entité serbe et le SNSD s'impose
aux élections de l'Assemblée nationale, chambre unique du Parlement
serbe, en recueillant plus de 40 % des suffrages. La domination du SNSD
est confirmée le 9 décembre 2007 avec l'élection de Rajko Kuzmanović
comme président de l'entité serbe, en remplacement de M. Jelić, décédé
le 30 septembre 2007. De la sorte, le SNSD exerce une domination
politique totale sur la RS.
À l'issue des élections de 2006, bien que de
nouvelles formations politiques soient arrivées au pouvoir en lieu et
place des formations nationalistes historiques, le débat politique n'a
cependant pas évolué et le duel Silajdzić/Dodik se résume, comme
toujours à l'alternative entre l'unité et l'éclatement de la
Bosnie-Herzégovine.
Alors que le pays est frappé par une redoutable crise
économique, fortement affecté par la fuite des cerveaux, et semble
privé de perspectives politiques crédibles à court terme, sa classe
politique est également affectée par une dérive affairiste. Plusieurs
affaires de privatisations douteuses éclatent en RS (Télécoms,
raffinerie de Brod), mettant directement en cause M. Dodik et son proche
entourage, constitué pour l'essentiel de « fidèles », originaires,
comme lui, de la petite ville de Laktasi.
6.4. La Bosnie-Herzégovine à l'épreuve de l'indépendance du Kosovo
La Bosnie-Herzégovine se trouve à la croisée des chemins. Pour assurer son unité et intégrer les structures européennes, elle doit réformer les institutions de Dayton en donnant la primauté à l'État central face aux pouvoirs des entités. Cependant, ni le Premier ministre de la RS, M. Dodik, ni les réseaux extrémistes croates ne semblent prêts à œuvrer à une unification de l'État bosnien. Les Croates réclament au contraire, depuis la signature des accords de Dayton, la création d'une troisième entité et le gouvernement de l'entité serbe agite épisodiquement la menace d'un référendum d'autodétermination qui scellerait la disparition de la Bosnie-Herzégovine.
Depuis la sécession et l'indépendance du Kosovo,
le 17 février 2008, M. Dodik dispose de fait d'atouts considérables sur
la scène politique bosnienne. L'homme fort de Banja Luka contrôle tous
les organes politiques de la RS et peut compter sur une population
majoritairement favorable à une sécession de l'entité serbe. Le
21 février 2008, le Parlement de RS adopte une résolution précisant
qu'il se réserve la possibilité d'organiser un référendum
d'autodétermination si l'existence de l'entité était mise en danger. Une
menace qui suffit à bloquer toute tentative d'unification des
structures politiques et administratives de la Bosnie-Herzégovine et
tout transfert de compétence des entités vers l'État central.
Au niveau régional, la Bosnie-Herzégovine adopte des
positions contradictoires qui reflètent ses divisions internes. La RS
s'oppose ainsi catégoriquement à toute reconnaissance de l'indépendance
du Kosovo par l'État bosnien et soutient les positions de Belgrade,
alors que dans le même temps les dirigeants de la fédération
entretiennent des relations toujours tendues avec la Serbie. On
s'indigne à Sarajevo que la Serbie, considérée comme la principale
responsable de la guerre de Bosnie, ait signé le 29 avril 2008 un ASA
avec l'Union européenne. Il est vrai que, dans le même temps, le dossier
bosnien était retardé par des « problèmes techniques ».
6.5. La perspective européenne pour réformer Dayton et préserver l'unité de la Bosnie-Herzégovine
Ces blocages politiques récurrents ont conduit à repousser la fermeture du Bureau du haut représentant international, un temps annoncé pour 2007. L'Union européenne nomme, au contraire, le 30 juin 2007 le diplomate slovaque Miroslav Lajčák, un habitué des Balkans, en remplacement de l'Allemand Christian Schwarz-Schilling, fortement critiqué pour sa passivité.
Le nouvel homme fort de Sarajevo s'est immédiatement
attelé à négocier la réforme de la police, en suspens depuis trois ans.
Après plusieurs mois de négociations et de multiples pressions, les deux
chambres du Parlement ratifient le 16 avril 2008 les deux lois de la
réforme, malgré l'opposition du SDS, du SDA et du SDP. Dans les faits,
cet accord résulte de compromis qui ont vidé la réforme de tout contenu.
Les forces de police seront placées sous la responsabilité des deux
entités qui constituent la Bosnie-Herzégovine mais des structures de
coordination seront créées au niveau de l'État central. De plus, cette
réforme ne rentrera en vigueur qu'après l'adoption d'une nouvelle
Constitution, ce qui laisse augurer de longs débats. Ce compromis permet
cependant à la Bosnie-Herzégovine de signer le 16 juin 2008 un ASA avec
l'Union européenne, après tous les autres États issus de
l'ex-Yougoslavie.
Depuis quelques années, la Bosnie-Herzégovine cherche
en effet à s'intégrer progressivement aux organes de coopération
régionaux. Fin novembre 2006, elle est invitée à Riga, avec le Monténégro et la Serbie, à rejoindre le Partenariat pour la paix de l'OTAN.
Le 19 décembre 2006, à Bucarest, elle signe avec la Serbie, le
Monténégro, l'Albanie et la Moldavie les Accords européens de
libre-échange (CEFTA), rejoignant ainsi la zone de libre commerce de
l'Europe centrale et orientale qui réunit 30 millions de consommateurs.
Des partenariats permettront peut-être d'œuvrer à une consolidation
politique de l'État bosnien, en attendant une intégration à l'Union
européenne, un objectif qui demeure le seul projet susceptible de
transcender, un jour, les divisions nationales.
6.6. Nouveaux blocages et crises politiques à répétition
Malgré les quelques progrès enregistrés en 2008 (notamment l'arrestation de R. Karadžić à Belgrade par les autorités serbes le 21 juillet, après 11 années de cavale), les blocages politiques persistent, tandis que le Slovaque Miroslav Lajčák, nommé ministre des Affaires étrangères de son pays, quitte la Bosnie le 29 janvier 2009, où il est remplacé par l’Autrichien Valentin Inzko.
Conséquence de l'échec des partis politiques à
s’entendre sur les réformes les plus urgentes réclamées par l’UE, le
pays est exclu de la libéralisation du régime des visas Schengen,
accordée le 19 décembre 2009 à la Serbie, au Monténégro et à la
Macédoine. La réforme du cadre institutionnel de Dayton est désormais un
sujet ouvert, mais les propositions de « régionalisation » du pays sont
interprétées de manières très différentes : alors que les Bosniaques y
voient l’opportunité de dépasser les « entités », les dirigeants de la
RS entendent au contraire renforcer les compétences de leur entité. Même
la tentative lancée le 20 octobre 2009 par les diplomates européens et
américains de réunir tous les dirigeants du pays à Butmir, près de
Sarajevo, lors d'une rencontre « de la dernière chance » présentée comme
un « second Dayton », reste vaine. La crise politique se poursuit,
rythmée par les passes d’armes verbales entre les dirigeants de RS et
les représentants internationaux. Ce statu quo délétère bloque les
réformes et condamne le pays à un dangereux immobilisme, éloignant
toujours plus la perspective européenne.
Dans le même temps, la crise économique aggrave
encore la situation sociale. Un accord conclu avec le FMI (mars 2009),
prévoyant le déblocage d’un prêt de 1,3 milliards d’euros, doit
permettre sauver les budgets publics de la banqueroute, mais au prix
d’une sévère politique d’austérité, d’une réduction du nombre des
fonctionnaires et de coupes drastiques dans les budgets sociaux.
Le 28 décembre 2009, la Bosnie-Herzégovine est
condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour
discrimination envers les Juifs et les Roms (arrêt « Sejdić-Finci ») :
la Constitution bosnienne stipule que seuls les membres des trois
peuples constitutifs (Bosniaques, Croates et Serbes) peuvent être
candidats à la présidence et à la Chambre des peuples (Dom Naroda) de l’Assemblée parlementaire, tandis qu'elle refuse ce droit aux minorités.
Preuve supplémentaire des problèmes structurels posés
par l'incohérence inhérente à la Constitution, l'incapacité de former
un gouvernement après les élections générales du 3 octobre 2010. Si le
SNSD de Milorad Dodik confirme une nouvelle fois sa mainmise sur la RS,
en Fédération, aucune majorité ne permet la constitution d'un
gouvernement. Le SDP de Zlatko Lagumdžija, sorti vainqueur des
élections, propose en décembre 2010 une plateforme de coopération au SDA
de Bakir Izetbegović, le fils de l'ancien président bosniaque, ainsi
qu'à deux autres petits partis minoritaires. Considéré par les Européens
comme un nationaliste « modéré », B. Izetbegović, a devancé, au sein de
l'électorat bosniaque, le parti pour la Bosnie-Herzégovine (SzBiH) de
Haris Silajdžić et surtout l'Alliance pour un avenir meilleur (SBB) du
magnat de la presse Fahrudin Radončić.
Bien que disposant d'une majorité au Parlement de la
Fédération, l'alliance SDP/SDA doit faire face à l'obstruction des deux
partis nationalistes croates, le HDZ-BiH et le HDZ-1990. Ceux-ci,
officiellement réconciliés après s’être déchirés pendant des années,
sont majoritaires dans 4 cantons (sur les 10 formant la Fédération), et
refusent de désigner leurs délégués à la Chambre des peuples de
l’entité, bloquant ainsi le fonctionnement des institutions de la
Fédération.
Au niveau du gouvernement central, l'impasse est
également totale. Aucun rapprochement n'a pu, jusqu'en mars 2011, être
envisagé entre les deux partis sortis vainqueurs des élections, le SDP
de Zlatko Lagumdžija dans la Fédération, et le SNSD de Milorad Dodik, en
RS. Le premier souhaite lancer des réformes pro-européennes et, fort de
sa victoire électorale, revendique la direction du gouvernement. Le
second entend répartir les postes entre tous les partis représentatifs
des trois peuples de Bosnie-Herzégovine et demande que le Premier
ministre soit un Croate – en l’occurrence Dragan Čović – selon le
principe (non écrit) de la rotation « ethnique » des fonctions.
Zlatko Lagumdžija reçoit l'accord des quatre partis
qui adhèrent à la plate-forme du SDP. Milorad Dodik bénéficie, quant à
lui, de l’appui de presque tous les partis de la RS et des deux branches
du HDZ dont il soutient la revendication de création d’une « troisième
entité » croate, dans la mesure où celle-ci ne remettrait pas en cause
les limites de la RS. Chacune de ces alliances dispose d’un nombre
équivalent de voix à la Chambre des représentants de Bosnie-Herzégovine
(17 ou 16), insuffisant toutefois pour atteindre la majorité nécessaire à
la formation d’un gouvernement (22). Les autres voix se répartissent
entre le SBB et le SzBiH.
Le blocage du système politique bosnien apparaît
ainsi plus flagrant que jamais. À la contradiction inhérente aux accords
de Dayton entre démocratie citoyenne et représentation « ethnique »,
s’ajoute la protection de puissants intérêts privés sous couvert de
défense de grands principes nationaux.
6.7. Un immobilisme structurel
Ce blocage politique semble prendre fin en janvier 2012 avec l’élection du Croate Vjekoslav Bevanda (HDZ), au poste de Premier ministre mais les institutions centrales restent paralysées entre juin et novembre. L’année suivante, la Fédération connaît à son tour une nouvelle crise pendant plusieurs mois. Le rapport annuel de la Commission européenne (octobre 2013) sur les progrès réalisés par le pays quant au respect des critères de Copenhague et des conditions prévues par l’ASA (ratifié en 2011 mais dont l’entrée en vigueur est alors suspendue dans l’attente d’une mise en conformité de la Constitution avec l’arrêt « Sejdić-Finci ») reste très sévère.
Cet immobilisme conduit à d’importantes
manifestations en février 2014 d’abord à Tuzla puis s’étendant à
Sarajevo et à plusieurs autres villes du pays. Alors que le chômage
frappe toujours 60 % de la jeunesse, elles témoignent d’une exaspération
croissante face à l’inaction des élites, la corruption et la
criminalité, les salaires impayés et prennent un tour violent avec de
nombreux blessés et l’incendie de bâtiments publics. Dans leur sillage,
des « plenums citoyens » se constituent : parmi les revendications
exprimées, la réforme de la Fédération et des cantons, la démission de
responsables locaux et un contrôle renforcé des finances publiques
viennent au premier plan. Mais, si ce réveil de la société civile tend à
transcender les divisions ethniques, il s’enlise et ne parvient pas à
ébranler l’inertie de la classe politique. Alors que le rapport annuel
de l’UE sur l’évolution politique et institutionnelle pointe toujours la
lenteur des réformes, les élections d’octobre 2014 ne présagent aucun
changement décisif. L’abstention (en hausse) facilite la reconduction
des dirigeants en place – sortants ou de retour au premier plan – et des
partis nationalistes. Ainsi, B. Izetbegović est réélu avec 32,7 % des
voix et le SDA progresse dans la Fédération (27,8 % des suffrages) à la
différence du SDP qui recule fortement derrière le SBB de F. Radončić
(arrivé deuxième avec 14,7 % des voix) et le Front démocratique de
Željko Komšić (nouveau parti transcommunautaire, issu d’une scission du
SDP en 2013, 12,9 %), la coalition croate menée par le HDZ arrivant en
cinquième position devant le HDZ-1990. Parmi les candidats croates à la
présidence collégiale, l’ancien président D. Čović (HDZ-BiH) s'impose.
Dans la République serbe, le président M. Dodik est
reconduit, de justesse toutefois, devant Ognjen Tadić, représentant
(SDS) de l’opposition réunie dans l’Alliance pour le changement. Si son
candidat est défait au niveau central par l’opposant Mladen Ivanić
(parti du Progrès démocratique, PDP) qui l’emporte sur le fil, il n’en
reste pas moins que son parti SNSD, bien qu’en recul, devance ses
concurrents aussi bien aux élections fédérales que dans l’entité serbe.
Zeljka Cvijanovic (SNSD), est ainsi reconduite à la tête du gouvernement
de coalition de la RS, en décembre.
Ce n’est qu’en février 2015 que les partis
parviennent à se mettre d’accord sur la désignation de Denis Zvizdić
(SDA) comme Premier ministre au niveau central. Prenant acte de
l’incapacité des partis à s’entendre sur la réforme constitutionnelle,
la Commission européenne (tout en maintenant son exigence du respect des
droits des minorités) assouplit sa position et demande désormais au
nouveau pouvoir de s’engager fermement et prioritairement sur les
réformes économiques et sociales, un préalable à l’entrée en vigueur de
l’ASA. Le 23 février, le Parlement adopte une déclaration dans laquelle
il s’engage à œuvrer dans ce sens, ouvrant la voie à un déblocage de la
situation au niveau européen. Un gouvernement de coalition peut être
finalement formé en mars, tant au niveau central et qu’à celui de la
Fédération.
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