GÉOGRAPHIE
Ce pays, au climat tropical, formé de massifs volcaniques ouverts
par la vallée du Lempa, a pour ressources essentielles des cultures
vivrières (maïs, riz) et commerciales (coton, agrumes et surtout café).
La population, en grande majorité métissée, est très dense.
1. Le milieu naturel
Le Salvador est le seul État d'Amérique centrale à n'être ouvert que
sur le Pacifique. Il appartient à la bordure volcanique du versant
Pacifique de l'isthme centraméricain et offre un remarquable ensemble de
volcans récents, souvent actifs : Santa Ana, San Salvador, San Vicente,
Tecapa, San Miguel (2 132 m), Conchagua. Les montagnes du nord portent
le point culminant du Salvador, le massif de Monte Cristo (2 418 m). Le
principal fleuve du pays est le río Lempa. Le climat, par 14° de
latitude nord, est chaud et humide, mais la saison sèche dure de 4 à
5 mois, à partir de décembre. L'altitude introduit les différenciations
climatiques habituelles. La partie vitale du pays s'étend sur l'étage
supérieur des terres chaudes
(tierras calientes), de 500 à 800 m, et sur les terres tempérées
(tierras templadas), de 800 à 1 800 m d'altitude. C'est le niveau des plantations caféières, principale richesse du Salvador.
2. Le surpeuplement et les problèmes agraires
À l'exception d'une petite minorité de Blancs (5 %), la population
est essentiellement formée de métis, de langue et de culture espagnoles.
Le pays compte 60 % de citadins. Le réseau urbain est bien développé,
les principales villes étant San Salvador, loin devant Santa Ana et San Miguel.
Les autres villes, plus modestes, sont particulièrement nombreuses :
Zacatecoluca, Ahuachapán, San Vicente, Sonsonate, Usulután, Acajutla,
etc.
Dans ce pays, le plus petit d'Amérique centrale, le
manque de terres est cruellement ressenti. En effet, entre 1900 et 1970,
la population du Salvador a quintuplé. Elle connaît, aujourd'hui
encore, un taux d'accroissement naturel de 1,8 % par an. La densité
moyenne dépasse désormais 300 habitants par km2 mais le Centre et le Sud concentrent plus de 500 habitants par km2.
Du fait de ce surpeuplement (de 1961 à 1975, le pourcentage de familles
rurales sans terre est passé de 12 % à 41 %) et de la guerre civile, un
fort mouvement d'émigration s'est développé vers le Honduras, le
Guatemala et les États-Unis.
Dans le cadre d'une réforme agraire engagée au début
des années 1980, un certain nombre de mesures furent prises en faveur de
la petite paysannerie : expropriation des plantations de plus de
500 hectares (1980), suivie d'un programme de transfert de terres aux
petits paysans (1981) et d'une limitation de la propriété à 245 hectares
(1983). Après la fin de la guerre civile (1992), enfin, un projet de
distribution de 10 % des terres était également prévu pour les anciens
combattants. Cependant, tous ces projets sont restés insuffisants pour
remettre en cause l'oligarchie terrienne qui conserve la majeure partie
de ses exploitations et de ses privilèges.
3. La monoculture caféière et ses conséquences
Bien que sa part diminue dans le revenu national, l'agriculture
occupe toujours une place importante dans l'économie salvadorienne (10 %
du produit intérieur brut [P.I.B.] en 2006, 20 % de la population
active en 2004). Au contraire des autres pays de l'Amérique centrale,
elle est accaparée et contrôlée non par des capitaux étrangers mais par
une oligarchie terrienne locale que l'on surnomme les « quatorze
familles » (8 % des planteurs produisent 50 % des récoltes). Les
cultures commerciales (café, agrumes, coton) et l'élevage (bovins,
porcs) se sont étendus au détriment des cultures vivrières (maïs, riz,
haricot, sorgho). Le café reste la principale culture (il assure, en
valeur, encore plus de la moitié des exportations). Cependant, la
production des principales ressources agricoles a été gravement affectée
par la guerre civile (1981-1992), qui a ruiné le pays. Le retour à la
paix s'accompagne, ces dernières années, d'une nette reprise de
l'activité agricole.
4. L'industrie
Après 1945, le développement de l'économie salvadorienne a d'abord
reposé sur l'agriculture commerciale (exportations de café, de sucre, de
coton, de produits d'élevage). Puis la création du Marché commun
d'Amérique centrale, en 1957, a considérablement profité à l'industrie,
dont la production a doublé de 1960 à 1967. Cet essor a duré jusqu'en
1969, date de la « guerre du football » qui a vu le Honduras, alors l'un
des principaux partenaires commerciaux du Salvador, se retirer du
Marché commun centraméricain, faisant perdre ainsi aux exportations
salvadoriennes une grande partie de leurs débouchés. Le pays connut une
nouvelle phase d'expansion économique avant la guerre civile, sur la
base des exportations de produits agricoles et manufacturés. Entre 1960
et 1978, le taux de croissance annuel était d'environ 5 %.
Depuis 1992, la priorité du Salvador est de
reconstruire une économie dévastée par douze ans de guerre civile. Il
bénéficie, pour cela, d'une importante aide américaine. Sous la
présidence d'Alfredo Cristiani, le rôle du marché et du secteur privé
tend à s'accroître avec la privatisation de pans entiers de l'économie
(sucreries, distilleries, usines textiles, banques et institutions
financières, télécommunications). Depuis 1990, la croissance a repris à
un rythme soutenu et connaît une progression constante (3 % en 1991, 6 %
en 1995). En 1995, l'industrie, qui emploie le quart des actifs,
fournissait 30 % du P.I.B. et près de 60 % des exportations (dont les
trois quarts sont destinés au marché centraméricain). Les principales
branches de l'industrie sont l'agroalimentaire, la chimie lourde
(raffinage de pétrole, pétrochimie), la cimenterie, le textile, le
plastique et l'aluminium. Ces activités sont surtout localisées autour
de San Salvador, de Santa Ana et de San Miguel. Le Salvador possède,
aujourd'hui, le deuxième secteur industriel d'Amérique centrale, après
le Guatemala.
La fin de la guerre civile offre, en outre,
l'opportunité d'achever un vaste projet hydroélectrique sur le río
Lempa, qui réduirait la dépendance énergétique du pays. En effet, 50 %
du pétrole salvadorien vient du Mexique et du Venezuela. Le Salvador
entreprend également, avec le retour à la paix, de mettre en valeur son
potentiel touristique, notamment sur la côte pacifique. Le Salvador est
régulièrement touché par des catastrophes naturelles, qui, outre le
drame humain (elles sont souvent très meurtrières), provoque de très
importants dommages dans tous les secteurs de l'économie. En 1998, le
cyclone Mitch a été particulièrement dévastateur et, en 2001, un
tremblement de terre de forte intensité a encore frappé le pays.
HISTOIRE
1. Conquête espagnole et époque coloniale
Trois groupes ethniques ont peuplé l'actuel Salvador à l'époque
précolombienne : les Pipils, d'ascendance mexicaine et de langue
nahuatl, au sud et à l'est du río Lempa, les Pocomans, de culture maya,
au nord-ouest, et les Lencas, également de culture maya, au nord et à
l'est. Le Salvador est conquis par l'Espagnol Pedro de Alvarado en 1524.
La région, d'où sont exportés le cacao et le baume dit « du Pérou »,
fait partie de l'
audiencia du Guatemala jusqu'au 15 septembre
1821, date de son indépendance par rapport à l'Espagne. En 1823, le
Salvador intègre la fédération des Provinces-Unies d'Amérique centrale
(Salvador, Honduras, Nicaragua, Guatemala, Costa Rica), dont le
Salvadorien Miguel José Arce est le premier président. Le pays sort de
la fédération en 1841, date à laquelle il devient pleinement
indépendant.
2. De l'indépendance à la crise de 1929
Comme dans tout le sous-continent, la lutte entre libéraux et
conservateurs, compliquée de l'opposition entre séparatistes et
unionistes, favorables à l'idée d'une fédération centraméricaine (qui
sera relancée à plusieurs reprises par les cinq pays d'Amérique
centrale), occupe l'essentiel de la vie politique du pays au
xixe siècle
Les conflits qui opposent le Salvador au Guatemala
(1906) et au Nicaragua (1907) sont réglés par l'intermédiaire des
États-Unis, qui exercent une forte influence en Amérique centrale.
Malgré ses soubresauts politiques, le pays se développe et atteint un
certain degré de prospérité, grâce à la culture du café qui commence au
milieu du xixe siècle, au détriment de la culture de l'indigo, abandonnée dans les années 1880. C'est alors l'Asociación Cafetalera,
regroupant les grands planteurs, les propriétaires et les exportateurs
(les « quatorze familles »), qui constitue le véritable pouvoir.
L'économie du café, qui représente 90 % des
exportations du Salvador, est terriblement vulnérable. Avec la crise de
1929, les cours s'effondrent (de 57 % en quatre ans). Le revenu national
en 1931 représente la moitié de celui de 1928.
3. Les gouvernements militaires
C'est dans ce climat de crise que le parti communiste salvadorien
est créé, en 1930. À cause de la chute des cours du café, la Fédération
régionale des travailleurs organise une marche de 80 000 personnes le 1
er mai
1930. Les premières élections libres ont lieu en 1931 et portent au
pouvoir le libéral Arturo Araújo. Ne pouvant maîtriser les difficultés
économiques et sociales, celui-ci est renversé en décembre par le
général Maximiliano Hernández Martínez, qui instaure un régime
dictatorial. Le leader communiste Agustín Farabundo Martí, compagnon de
route du révolutionnaire nicaraguayen Augusto César Sandino, tente
d'organiser une insurrection communiste, qui échoue. En janvier 1932,
une série de révoltes paysannes éclate. Sans véritable coordination, ces
jacqueries sont réprimées dans le sang par le président Hernández
Martínez, soutenu par la grande bourgeoisie du café. La répression,
connue au Salvador sous le nom de
la Matanza (« la tuerie »), fait près de 30 000 morts. Farabundo Martí est fusillé.
Cette date essentielle dans l'histoire du Salvador
consacre la rupture entre les forces populaires et les gouvernements
militaires, qui vont désormais dominer la vie politique. En mai 1944,
une grève massive oblige Hernández Martínez à se retirer, mais les
militaires conservent le pouvoir, sous la direction du général Castañeda
Castro (1945-1948).
En 1948, un coup d'État de jeunes officiers marque le
début d'un régime politique stable, qui va durer jusqu'en 1979. Une
nouvelle Constitution est promulguée, les libertés publiques sont
restaurées et un parti officiel est créé, le parti révolutionnaire
d'Unification démocratique (PRUD). La modernisation du pays progresse :
sous les présidences des colonels Óscar Osorio (1948-1956) et José María
Lemus (1956-1960), les infrastructures (aménagement hydraulique du río
Lempa, construction de routes…) se mettent en place et l'industrie prend
son essor. Le progrès économique va de pair avec le développement des
classes moyennes, de la législation sociale (sécurité sociale, programme
de logements sociaux…) et du syndicalisme, qui est désormais autorisé.
Le régime ne s'attaque pas à une réforme agraire, qui mettrait en cause
la distribution des terres, mais un impôt sur le revenu est créé.
En octobre 1960 intervient un nouveau coup d'État
militaire, mené par des officiers réformistes favorables à la révolution
cubaine et qui s'opposent à l'évolution de moins en moins libérale du
régime. En janvier 1961, ils sont à leur tour renversés par des
militaires appuyés par les États-Unis.
Dans les années 1960, le courant démocrate-chrétien,
très actif, devient un obstacle sérieux pour le régime militaire : le
parti démocrate-chrétien (PDC), fondé en 1960 et dirigé par José
Napoleón Duarte, devient la première force d'opposition face au parti de
Conciliation nationale (PCN), le parti gouvernemental qui remplace le
PRUD et auquel appartiennent les présidents Julio Adalberto Rivera
(1962-1967), lieutenant-colonel, et son successeur, le colonel (puis
général) Fidel Sánchez Hernández (1967-1972). En 1968, une modification
de la loi électorale permet à l'opposition d'accéder à l'Assemblée
législative.
En juillet 1969 a lieu un conflit avec le Honduras,
où des milliers d'immigrés salvadoriens concurrencent la main-d'œuvre
locale, ce qui provoque de vives tensions. Là réside la véritable cause
de cette « guerre du football », ou « guerre de cent heures », entre les
deux pays, dont le prétexte est un incident entre supporters des deux
camps lors d'une rencontre sportive, en juin de la même année. Malgré la
victoire salvadorienne, 100 000 Salvadoriens reviennent dans leur
patrie, augmentant la pression démographique. Un autre litige, portant
sur un morceau de territoire le long de la frontière hondurienne et sur
l'île de Meanguera (golfe de Fonseca), oppose également les deux pays.
Ce différend ne sera réglé qu'en 1992.
En 1972 se constitue l'Union nationale d'opposition
(UNO), composée des trois principaux partis d'opposition : le PDC, le
Mouvement national-révolutionnaire (MNR), de tendance sociale-démocrate,
et l'Union démocratique nationale (UDN), proche du parti communiste,
interdit depuis 1932. Lors des élections qui ont lieu la même année,
l'UNO met en péril le PCN, qui recourt à la fraude pour imposer son
candidat, le colonel Arturo Armando Molina Barraza. Le leader
démocrate-chrétien José Napoleón Duarte est envoyé en exil au Venezuela.
En 1977, une nouvelle élection, tout aussi contestée, donne la victoire
au général Carlos Humberto Romero Mena. Son accession au pouvoir se
déroule dans un climat de grèves, de manifestations, d'occupations de
terres et surtout de violence extrême (attentats, prises d'otages,
terrorisme), qui aboutit en mars 1980 à l'assassinat de
Monseigneur Óscar Romero y Galdames, archevêque de San Salvador, très
critique vis-à-vis du pouvoir en place, dont il dénonce les nombreuses
violations aux droits de l'homme. Un massacre organisé par l'extrême
droite marque ses obsèques.
L'opposition de gauche se radicalise et abandonne de
plus en plus la lutte légale ; à droite se développent des organisations
paramilitaires comme l'ORDEN (Organisation démocratique nationaliste),
créée en 1960, dont l'objectif est de faire régner l'ordre.
En octobre 1979, le général Romero Mena est renversé
par des officiers progressistes. Une junte dite « de la Jeunesse
militaire » se forme, avec à sa tête le colonel Adolfo Majano, et un
programme réformiste qui porte sur trois points : dissolution de
l'ORDEN, prise en charge par l'État du commerce extérieur (notamment des
exportations de café), réforme de la propriété agraire.
Malgré cela, l'ORDEN poursuit plus ou moins
clandestinement ses activités ; l'oligarchie finance des « escadrons de
la mort » et la violence se traduit par plus de 800 assassinats par
mois.
Entré en 1980 dans la junte militaire, à qui il est
censé donner une crédibilité en tant que leader de la Démocratie
chrétienne, José Napoleón Duarte devient chef de l'État. La nouvelle
junte applique ses réformes : nationalisations des banques et des
institutions de crédit, réforme agraire qui concerne 25 % des terres
cultivables, rachetées par l'État à leurs propriétaires et transformées
en coopératives.
Ainsi, pendant toute cette période, de 1930 à 1980,
l'armée et l'oligarchie ont structuré le pouvoir : lorsque les
mécontentements sont trop grands parmi la population, les présidents
sont renversés par des coups d'État, comme Hernández Martínez en 1944,
Lemus en 1960, Romero Mena en 1979. De même, lorsque les administrations
réformistes sont considérées comme trop radicales, elles se heurtent à
l'oligarchie, comme celle du colonel Molina en 1976. Mais ce système est
profondément bouleversé par la sanglante guerre civile qui se développe
à partir de 1981.
4. La guerre civile
Après la victoire de Fidel Castro
à Cuba, des guérillas d'inspiration castriste naissent un peu partout
en Amérique centrale. Au Salvador, en 1970, Salvador Cayetano Carpio,
secrétaire général du parti communiste, a formé les Forces populaires de
libération, marquant une radicalisation des oppositions dans un climat
de violence extrême, auquel participe également l'armée, responsable de
nombreux assassinats.
Les organisations de masse syndicales et étudiantes
rejoignent en avril 1980 le MNR et les dissidents du PDC pour constituer
le Front démocratique révolutionnaire (FDR). Parallèlement, plusieurs
groupes de guérilla se coordonnent en octobre 1980 à Cuba pour former le
Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN).
Le 10 janvier 1981, le FMLN, qui contrôle surtout les
départements du Nord, à la frontière hondurienne, lance un appel à
l'insurrection générale, amorçant une guerre civile qui va faire en dix
ans plus de 80 000 morts, 500 000 personnes déplacées, et provoquer
l'émigration de 500 000 Salvadoriens (au Panamá, au Nicaragua, au Costa
Rica et aux États-Unis).
L'armée, largement aidée par les États-Unis, qui voient dans cette guerre civile l'ingérence de Cuba et de l'URSS,
compte 55 000 soldats et un personnel paramilitaire de 15 000 hommes,
renforcés par des troupes argentines et honduriennes. Attaques
d'infanterie et bombardements aériens des populations habitant les zones
contrôlées par la guérilla sont à la base de la stratégie
gouvernementale, qui se solde par un fort coût en vies civiles.
Le FMLN-FDR, bénéficiant d'une bonne coordination à
travers le pays et d'une aide du Nicaragua, lance des attaques de
brousse, se livre au terrorisme
urbain et au sabotage économique (destruction des récoltes, des lignes
de communication…). Près de 400 civils sont assassinés chaque mois.
Les élections pour une assemblée constituante en mars
1982 opposent le PDC et deux partis de droite et d'extrême droite : le
PCN et l'Alliance républicaine nationaliste (Arena), fondée en 1981. Le
PDC devient minoritaire, mais les États-Unis ne laissent pas le candidat
de l'Arena, le major D'Aubuisson Arrieta, l'emporter. En attendant les
présidentielles suivantes, ils installent au pouvoir le libéral Álvaro
Magaña Borja. Une nouvelle Constitution est votée en 1983.
En mai 1984, Duarte gagne les élections
présidentielles, tandis que les élections législatives de 1985 donnent
au PDC la majorité absolue au Parlement.
5. La pacification et la démocratisation du régime
Les discussions qui s'engagent entre le pouvoir et la guérilla se
heurtent à deux problèmes : d'abord, l'incapacité de Duarte de mettre
fin à la terreur exercée par les groupes d'extrême droite et les
« escadrons de la mort » ; ensuite, le fait que le FMLN-FDR, lui-même en
butte à des luttes internes et à des scissions, boycotte
systématiquement les élections, y compris celles qui sont surveillées
par des observateurs internationaux. À partir de 1983, devant la menace
d'une extension des conflits en Amérique centrale (Nicaragua, Honduras)
et d'une intervention des États-Unis, des tentatives de négociation
s'engagent entre les différentes parties. En 1984, à La Palma, les
discussions entre le gouvernement salvadorien et une délégation de
l'opposition armée menée par Guillermo Ungo, chef du MNR, tournent
court. En août 1987, dans un cadre régional élargi à l'ensemble des pays
de la région, de nouvelles négociations ont lieu : les présidents des
cinq pays d'Amérique centrale signent le plan de paix Esquipulas,
proposé à l'initiative du président costaricain Óscar Arias et qui
prévoit le dialogue entre les gouvernements et les insurgés, l'avènement
de la démocratie et d'un système pluraliste, la cessation de l'aide aux
insurgés, quelle qu'en soit la source. En octobre 1987, l'opposition et
la Démocratie chrétienne se rencontrent à nouveau, sans succès, mais le
plan de paix est réactivé par celui de Tela en 1989.
L'incapacité du PDC à mener les réformes entraîne la
victoire de l'Arena aux élections législatives de mars 1988, puis, un an
après, l'arrivée à la tête de l'État de son leader, Alfredo Cristiani
Burkard. Le nouveau président surprend en prônant un dialogue
ininterrompu avec la guérilla et en prenant ses distances avec les
« escadrons de la mort ». Il propose une série de rencontres au FLMN,
qui les refuse en exigeant un processus de démocratisation avant de
déposer les armes et qui relance l'offensive, en s'attaquant à des
leaders de l'Arena et en donnant l'assaut à la capitale, San Salvador.
La réaction est immédiate : syndicalistes et sympathisants supposés du
FLMN. sont assassinés. Mais l'effondrement du bloc soviétique, qui
fournit des armes aux groupes d'extrême gauche, amène peu à peu les
guérilleros à envisager la paix. Le FLMN fait un premier pas en
respectant une trêve pendant les élections législatives de mars 1991,
qui voient la progression des partis de gauche, tandis que l'Arena perd
la majorité absolue. Un accord de paix est finalement signé entre le
gouvernement salvadorien et la guérilla, à Mexico, le 16 janvier 1992 ;
il prévoit l'instauration d'un cessez-le-feu, le désarmement et la
réintégration des guérilleros dans la vie civile, la réduction des
effectifs de l'armée, la redistribution des terres de l'État en faveur
des anciens rebelles, la publication du rapport d'une « commission de la
vérité » établissant les responsabilités dans les différents massacres
perpétrés depuis les années 1980. Le 15 décembre 1992, jour de la
« Réconciliation nationale », la fin de la guerre civile est
officiellement proclamée et le FLMN est déclaré parti légitime. Une loi
d'amnistie interviendra en 1994. Dès lors, la droite comme la gauche
jouent le jeu de la paix et, en dépit des difficultés économiques, le
Salvador offre un modèle de « sortie de crise » réussie.
En avril 1994, dans un calme relatif mais à une très
large majorité (68 % des voix), Armando Calderón Sol, candidat de
l'Arena et ancien maire de San Salvador, est élu président de la
République. Une partie du FLMN se rapproche de la Démocratie chrétienne
et crée un parti démocrate (PD) qui s'allie à l'Arena. En mars 1997, le
reste du FLMN, se réclamant désormais d'une social-démocratie libérale,
remporte 27 sièges à l'Assemblée (où l'Arena en obtient elle-même 28) et
60 mairies, dont San Salvador. L'économiste et philosophe Francisco
Flores, candidat conservateur de l'Arena, remporte l'élection
présidentielle de mars 1999 (entrée en fonctions en juin), devançant
largement son adversaire du FLMN. En mars 2000, le FLMN sort vainqueur
des élections législatives (31 sièges sur 84, contre 29 pour l'Arena) et
remporte 78 mairies aux élections municipales, mais la droite conserve
la majorité au Parlement, grâce, notamment, aux bons résultats du PCN
allié traditionnel de l'Arena. Les Salvadoriens ont sanctionné un
gouvernement dont les résultats en matière économique et sociale sont
jugés décevants. En effet, le chômage et le sous-emploi touchent 44 % de
la population active, et près de un habitant sur deux (48 %) vit en
dessous du seuil de pauvreté. La gestion par le président Flores du
problème de l'insécurité, en constante augmentation, est également
l'objet de vives critiques.
Ainsi, huit ans après avoir déposé les armes, le
parti de l'ex-guérilla devient la première force politique du pays mais
ne réussit pas à franchir le seuil nécessaire pour imposer une
alternative à la droite. Si les deux principales forces politiques
restent au coude à coude à l'issue des élections de 2003 et de 2006,
l'Arena peut s'appuyer sur le PCN tandis que son candidat, Elías Antonio
Saca, ancien journaliste et homme d'affaires sans grande expérience
politique, remporte largement l'élection présidentielle de mars 2004,
face à Schafik Jorge Handal, leader historique du FLMN et ancien
secrétaire général du parti communiste. Alors que la croissance se
maintient autour de 4 % par an – grâce notamment aux remises des émigrés
installés aux États-Unis –, le Salvador ratifie dès décembre 2004 le
traité de libre échange d'Amérique centrale (entré en vigueur en mars
2006) mais A. Saca infléchit par ailleurs la politique très libérale de
ses prédécesseurs – fondée sur des privatisations massives et la
dollarisation de l'économie nationale – en prenant des mesures en faveur
des régions les plus pauvres et en renforçant le système de santé et de
protection sociale (programme Red Solidaria lancé en 2005 avec l'appui
de la Banque mondiale).
6. La victoire de la gauche
Les échéances électorales de 2009 sont décisives pour la gauche
salvadorienne. À la suite de la mort de S. J. Handal en 2006, le FLMN.
décide de présenter à l'élection présidentielle de mars une personnalité
indépendante, Mauricio Funes, un journaliste de renom aux positions
politiques modérées, et progresse encore aux élections législatives du
18 janvier en obtenant 35 sièges. Avec 32 députés pour l'Arena, 11 pour
le PCN et 5 pour le PDC, la droite reste majoritaire à l'Assemblée
tandis qu'elle vient en tête des élections municipales, l'Arena
remportant 121 mairies sur 261 dont celle de San Salvador, contrôlée par
le FLMN depuis 1997. Mais elle doit s'incliner à l'issue du scrutin
présidentiel du 15 mars : avec 51, % des suffrages, M. Funes est élu à
la tête de l'État face à Rodrigo Ávila, candidat de l'Arena, qui
reconnaît pleinement sa défaite. Saluant ce « nouvel accord de paix et
de réconciliation », le président élu, lance un appel à l’unité
nationale et, sitôt investi le 1
er juin, rétablit les relations diplomatiques avec Cuba rompues depuis 1959.
Bénéficiant d’une marge de manœuvre d’autant plus
étroite que le pays subit encore les conséquences de la crise financière
de 2008, ce premier gouvernement de gauche met en place plusieurs
programmes sociaux. Au prix d’une alourdissement du déficit public et de
la dette du pays, les dépenses en faveur du logement, de l’éducation et
de la santé sont ainsi augmentées et ont comme effet une diminution
assez sensible du taux de pauvreté. Le président M Funes se garde
cependant d’opter pour une politique de rupture quitte à s’attirer
l’hostilité de l’aile gauche du FMLN qui, devenu parti de gouvernement
mais écarté notamment du ministère de l’Économie, ne domine pas tous les
organes de l’exécutif partagés avec des membres du mouvement « les Amis
de Mauricio », les alliés du Changement démocratique ou des
technocrates.
Dans le cadre de cette orientation très pragmatique,
le Salvador refuse ainsi d’adhérer à l’ALBA et préserve ses relations
étroites avec les États-Unis, son premier partenaire économique.
Après une importante chute de la production en 2009,
le Salvador renoue avec une croissance très modérée à partir de l’année
suivante (2 % en 2011) avec cependant la permanence d’un important
déficit commercial. Autre défi majeur, la lutte contre l’insécurité
donne des résultats mitigés malgré une trêve temporaire entre pandillas (gangs urbains appelés aussi maras) et une baisse temporaire des homicides.
Si l’Arena arrive en tête des élections législatives
et municipales de 2012, une partie de ses représentants a fait sécession
en 2010 pour créer la Grande alliance pour l’unité nationale (GANA).
Devenue la troisième force politique du pays et prônant un dépassement
du clivage gauche-droite, cette nouvelle formation de centre droit
accepte de passer des accords avec le FMLN et d’appuyer la politique de
réforme modérée du gouvernement.
Avec un bilan économique et social en demi teinte,
dont témoigne un taux de satisfaction en hausse depuis 2010 mais plutôt
modeste au sein de la population (autour de 40 %), le FMLN parvient à se
maintenir de justesse au pouvoir à l’issue de l’élection présidentielle
de février et mars 2014. Après un second tour très serré, son candidat,
le vice-président et ex-guérillero Salvador Sánchez Cerén, l’emporte
avec 50,11 % des voix face à son adversaire de droite, Norman Quijano,
de l’Arena. Criant à la fraude, cette dernière revendique de son côté la
victoire mais accepte finalement de s’incliner après le recomptage des
voix. Le nouveau président entre en fonctions le 1er juin.
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